Jeudi 5 mai 2067: Matthieu, Election sans candidat à La Forêt Vivante
Connaissez-vous les élections sans candidat? Ce type d’élection amène une légitimité forte à la personne élue.

Hier soir, j’étais à La Forêt Vivante. La coopérative d’intérêt collectif qui gère notre commun forestier. Ils sont venus me voir en panique, la semaine dernière, car aucun coopérateur n’est candidat à la présidence de la coopérative.

Je leur ai proposé de faire une élection sans candidat. A chaque fois, je suis ému d’animer ce type d’élection. On ne sait jamais ce qu’il va se passer. Ce sont des moments forts  de reconnaissance, de prises de parole et de responsabilité. Il renforce le collectif et le fonctionnement de nos communs. Je pense qu’il faut vivre une élection sans candidat pour comprendre ce que je veux dire.

On s’est retrouvé hier soir vers 19h, au milieu des bois, une tradition à La Forêt Vivante. Il y avait des bûcherons, des débardeurs, des menuisiers, des scieurs, des charpentiers, des sculpteurs, des chauffeurs d'aéronefs pour le débardage en ballon, des alpinistes pour les cueillettes dans le cimes, des grutiers, des dresseurs de chevaux pour le débardage à cheval, des accompagnateurs en forêt, des animateurs natures, des coachs pratiquant la marche intuitive, etc, tous avec la même passion du bois et de la forêt. Il y avait 40 coopérateurs sur les 140 actionnaires. Il n’y a pas de quorum dans leurs statuts. Ils partent du principe que les gens présents prendront les bonnes décisions pour le groupe et le commun. Et, c’est juste. 

Roger, un des bûcherons de la coopérative, a présenté le rôle et ses redevabilités. Voilà 6 ans qu’il occupe ce rôle. Les statuts font qu’il ne peut plus se présenter. Le travail de Roger en 6 ans a été tellement impressionnant que personne n’ose se présenter derrière lui. Pourtant, il y a plein de talents et d’énergie dans la coopérative.

Une fois le rôle présenté, j’ai distribué des petits papiers et des crayons. Ensuite, j’ai demandé à chacun de s’ancrer dans le sol, de faire le silence pendant 5 minutes et que chacun désigne son candidat. Chacun devait argumenter son choix. Les 5 minutes étaient solennelles à se concentrer, à écouter la forêt, la nature, le groupe, le bois qui craque, une chouette au loin. 5 minutes à sentir ce qui est bon pour La Forêt Vivante. 

Ensuite, la parole a tourné. Chacun donnait un nom et ses arguments s’ils n’avaient pas été donnés par quelqu’un d’autre. Au bout du compte, il y a eu 7 candidats, les arguments allaient de la connaissance de la forêt, à la connaissance des coopérateurs en passant par la connaissance de la filière, l’humanité de la personne ou l'expérience dans plusieurs rôles tout simplement. On a beaucoup ri. On m’a nommé mais je ne suis pas coopérateur.

C’est chouette de voir les émotions sur le visage des gens lorsque leur nom est prononcé et les arguments énoncés. Il y a un mélange de gêne, de gratitude et de fierté. Cet exercice peut être compliqué pour certaines personnes qui ont du mal à prendre la parole. Je laisse les personnes libres de s’exprimer ou pas.

J’ai fait un deuxième tour pour demander si des personnes, après avoir écouté les autres, souhaitaient changer leur vote. Il y a eu quelques reports à chaque fois justifiés. Les votes se sont resserrés sur 4 candidats. Pour des questions de confidentialité, je ne donnerais pas les noms. Le premier candidat a décliné. Il vient d’être grand-père. Il est en train d’aider à construire la maison de sa fille. Le deuxième a également décliné pour raison personnelle sans avoir à se justifier. Le troisième a dit qu’il ne se sent pas à la hauteur du poste. Il a remercié chaleureusement le groupe. Le quatrième candidat n’était pas présent. Je l’ai appelé en temps réel sans succès. Finalement, il n’y avait toujours pas de candidat. 

J’ai alors proposé de faire un tirage au sort. Faire confiance au destin, au sort. J’ai pris la liste des coopérateurs. Trié au hasard cette liste et demandé à la plus jeune coopératrice Jeannine de me donner un chiffre au hasard entre 1 et 140. Le nom qui est tombé est Bernard, le chauffeur de camion, le troisième candidat qui ne se sentait pas à la hauteur du poste. Il y a eu un grand silence. Même la forêt s’est tue. Bernard s’est mordu les lèvres en se contractant. Il a pris le temps de regarder le groupe, de juger les regards sur lui. Je l’ai vu se redresser les yeux humides. Il a pris la parole avec sa grosse voix. Puisque les éléments vont dans le sens de vos propositions, j’accepte ce rôle. Je ferai du mieux que je peux pour être à la hauteur de vous tous. Tout le monde s’est mis à applaudir pour célébrer cette bonne nouvelle. La coopérative avait son nouveau président pour les 2 années à venir.

Jean-Christophe Léonard

Crédit photo de Vlad Bagacian

Jean-Christophe LÉONARD
5 mai, 2022
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